Le centre des brûlés de l’Hôpital militaire Reine Astrid existe depuis 1981 et soigne adultes et enfants victimes de brûlures, civiles ou militaires, belges ou étrangers. L’une des priorités de l’équipe est le travail sur la douleur et l’angoisse des victimes. La prévention des accidents et les bons gestes doivent aussi faire l’objet de rappels fréquents dans les endroits de passage.
Rencontre avec le Médecin chef du Service, Serge Jennes Lieutenant Colonel, anesthésiste intensiviste, et Truus Willems, assistante sociale.
«Il faut insister sur la nécessité d’effectuer les bons gestes après une brûlure ainsi que sur la prévention, surtout auprès des enfants, qui doit être diffusée et relayée le plus possible.
Rappeler la règle des 3 x 20 est primordial ! L’importance de l’eau courante, du cooling. Pour évacuer l’énergie thermique, la meilleure façon c’est d’avoir un flux continu d’eau à 20°, pendant 20 minutes, à 20 cm de la plaie. Le but du cooling est de diminuer la profondeur, c’est un traitement thérapeutique et analgésique fondamental. Ce n’est pas seulement une histoire de degré ou de traitement, c’est vraiment une prise en charge globale de la brûlure. Il faut commencer par là et on peut le faire jusqu’à 3 heures après la brûlure. Ca veut dire que si quelqu’un se brûle, appelle son médecin ou son voisin et que ça fait 20 minutes qu’il n’a pas fait de cooling, ce n’est pas grave, il faut quand même le faire, avant tout...»
Docteur Jennes, un service comme le vôtre est particulier, comment fonctionne-t-il ?
Docteur Serge Jennes : le centre se compose de 5 unités : une unité de soins intensifs de 7 lits, un medium care de 12 lits, un quartier opératoire spécifiquement dédié à la chirurgie du brûlé, doté de 2 salles d’opération, une consultation comportant 4 cabinets de soins et un secrétariat, un laboratoire de technologie cellulaire et moléculaire qui possède deux banques de tissus, une banque d’allogreffes (peau de donneur) et une banque de kératinocytes (le kératinocyte est la cellule principale de la peau), ainsi qu’un laboratoire d’études de bactéries, plus particulièrement celles responsables d’infections nosocomiales. Mais la principale richesse du centre est son personnel, bilingue, composé de civils et de militaires. C’est une équipe de 15 médecins : 5 chirurgiens, 6 anesthésistes dont 4 intensivistes, 1 pédiatre intensiviste, 1 généraliste, 1 infectiologue et 1 interniste intensiviste. Nous avons aussi 3 biologistes, 4 biotechniciens, 63 infirmiers, 12 kinésithérapeutes, 1 ergothérapeute, 2 psychologues, 1 assistante sociale et 5 brancardiers. La plus grosse cohorte est représentée par les infirmiers, au nombre de 3 par patient. Notre personnel a donc du temps pour écouter le patient, pour donner à manger… Cela se justifie car il y a beaucoup de soins à faire pour un grand pansement il faut 2 heures, tremper le patient, refaire le bandage…
Quels sont les accidents les plus fréquents qui amènent les enfants à fréquenter le centre ?
Dr. S.J. : ce sont les accidents domestiques à la cuisine, dans la salle de bain, par exemple, pour réchauffer un bain où plusieurs enfants sont déjà passés, on ouvre le robinet d’eau chaude, l’eau devient brûlante, l’enfant met son bras sous l’eau pour tester la température et se brûle gravement. Parfois l’on peut observer que certains types d’accidents sont plus fréquents parmi les familles précarisées. D’où l’importance de bien insister sur la prévention des accidents domestiques et des brûlures en particulier. Cela doit être fait à l’école et partout où les parents et les enfants se rendent habituellement, notamment dans les cabinets des médecins généralistes, dans les communes, etc.
Beaucoup d’accidents arrivent avec des liquides brûlants, le café, le thé, l’eau de cuisson, la soupe, etc. Les huiles donnent des brûlures plus profondes. L’eau chaude donne souvent un 2è degré et un meilleur pronostic de guérison spontanée, mais l’huile c’est le 3è degré et cela nécessite la greffe et la chirurgie. Pour les enfants, 70 à 80% des brûlures sont causées par les liquides contre 20 à 30% par les flammes tandis que c’est l’inverse pour un adulte. Les enfants peuvent aussi être victimes d’accidents lors de jeux ou durant un camp scout par exemple.
Les brûlures électriques arrivent souvent aux jeunes enfants de 1 à 4 ans, lorsqu’ils mordillent des câbles électriques, ils se brûlent la langue. Ou bien, ils mettent leurs doigts dans une prise et se brûlent gravement. Donc, attention à l’état des câbles des appareils. Veiller à ne pas laisser l’enfant seul dans une pièce où prises, câbles électriques sont visibles et à sa portée.
Nous devons aussi être vigilants lorsqu’il s’agit de jeunes enfants, cela peut parfois, rarement heureusement, être un cas de maltraitance ou de négligence majeure. Lorsque par exemple, l’histoire change au fil des auditions par les médecins et l’assistante sociale.
Truus Willems : Il faut être très prudent avant de tirer des conclusions sur base du discours des parents et des enfants. Mais si nous avons des doutes sérieux, nous contactons les services juridiques. Cela arrive environ 2 à 3 fois par an. Ce serait une négligence de notre part de ne pas y être attentif, d’autant que l’enfant en parle rarement de lui-même. Cela ne m’est arrivé qu’une seule fois qu’une petite fille l’exprime spontanément.
Dr. S.J. : effectivement, c’est rappelé dans tous les guides de médecine des grands brûlés, il faut toujours être très attentif lorsqu’un enfant présente une brûlure suspecte, comme un «triangle» de peau brûlée, occasionnée par un fer à repasser ou des brûlures à plusieurs reprises, par exemple, occasionnées par une cigarette, etc.
Enfin, des enfants arrivent aussi en provenance d’autres hôpitaux, pour des affections de la peau qui miment les brûlures, comme les décollement de la peau liés à des infections par staphylocoques, des phlyctènes (bulles), des séquelles de méningococcémies, des nécroses cutanées étendues, certaines maladies rares, des allergies à certains médicaments comme les anti épileptiques, les antibiotiques, les anti-inflammatoires, qui pour une cause génétique, entraînent un décollement étendu de la peau. Ces enfants sont donc bienvenus chez nous où nous pouvons les traiter avec une infrastructure adaptée comme les baignoires notamment.
La douleur est-elle la première chose à traiter pour un grand brûlé ?
Dr. S.J. : oui, et encore plus lorsqu’il s’agit d’un enfant ! Le chirurgien s’occupe des pansements, des chirurgies, des pommades antibiotiques tandis que l’anesthésiste s’occupe de tout le reste, même le rhume ou la bronchite de l’enfant. Nous suivons le score anti douleurs OPS pour les tout petits et CHEOPS pour les plus grands. Les infirmiers relèvent le score trois fois par jour et la médication est adaptée en fonction des résultats.
Les brûlures les plus douloureuses sont celles du 2e degré. Les brûlures superficielles laissent les terminaisons intactes, à nu et donc très réceptives. Les fibres nerveuses dans le derme sont à l’air. Rien que le fait de couvrir la brûlure, même par un simple film alimentaire, diminue fortement la douleur. C’est une affaire de patience et de temps pour soigner et pour écouter.
Quels sont les règles à rappeler en cas de brûlure ?
Dr. S.J. : rappeler la règle des 3 x 20 est primordial pour tous les types de brûlures : liquides, flammes, produits chimiques, électricité ! L’importance de l’eau courante, du cooling. Pour évacuer l’énergie thermique, la meilleure façon c’est d’avoir un flux continu d’eau à 20°, pendant 20 minutes, à 20 cm de la plaie. Le but du cooling est de diminuer la profondeur, c’est un traitement thérapeutique et analgésique. C’est fondamental, ce n’est pas seulement une histoire de degré ou de traitement, c’est vraiment une prise en charge globale de la brûlure. Il faut commencer par là et on peut le faire jusqu’à 3 heures après la brûlure. Ca veut dire que si quelqu’un se brûle, appelle son médecin ou son voisin et que ça fait 20 minutes qu’il n’a pas fait le cooling, ce n’est pas grave, il faut quand même le faire, avant tout. Différentes études comparatives sur des groupes d’enfants, victimes d’accidents identiques ont été réalisées. Les enfants qui ont bénéficié d’un cooling étaient dans la grande majorité des cas bien moins profondément brûlés, ont moins de séquelles. Cela peut se faire avec le robinet, le tuyau d’arrosage… Pour des plus grandes brûlures, le message est de faire très attention : pas plus de 20 minutes, si le cooling est effectué dans une baignoire par exemple, pour des raisons d’hypothermie. Le risque réside aussi en l’approfondissement des dégâts, si l’eau est trop froide ou que l’on applique des glaçons par exemple. L’on provoquera une « engelure », une sorte de brûlure occasionnée par le froid. Il faut aussi éviter la trop forte pression du jet d’eau. Le cooling est aussi recommandé en cas de brûlure chimique, comme avec les produits de nettoyage toxiques.
Ces produits provoquent des brûlures profondes. Le cooling, dans ce cas, lave la blessure et la débarrasse des substances pyrogènes. On doit le faire le plus vite possible et pour une plus longue durée que pour les autres causes de brûlures ( si possible une heure). Au plus vite, au mieux !
Pour un enfant, nous rappelons aux parents que l’eau qui nettoie la brûlure, ne doit absolument pas couler sur une autre partie du corps, car elle va aussi brûler la peau sur laquelle elle tombe.
Lors de brûlures électriques, il faut d’abord retirer la prise de courant, ou couper l’alimentation générale. Bien s’assurer que le courant est coupé avant de toucher la victime, sinon l’on devient une victime à son tour ! Le courant alternatif entraîne une réaction musculaire qui fait que l’on ne peut pas relâcher la tension musculaire. Il faut prévoir un interrupteur central pour une pièce où plusieurs prises sont disponibles pour l’éclairage et les appareils électriques.
La prise en charge médicale de l’enfant est-elle spécifique ?
Dr. S.J. : oui, tout comme leurs besoins le sont, les traitements le sont aussi. La réanimation et la nutrition de l’enfant sévèrement brûlés nécessitent une grande expertise. Leur place est dans un centre de brûlés. Pour les brûlures moins sévères, l’accent sera mis sur l’analgésie. Nous recourons fréquemment à la morphine ou à ses dérivés. Nous veillerons, par exemple, lorsque nous prendrons le relai, à donner du paracétamol et des anti- inflammatoires aux enfants. Nous poserons des pansements et dans les cas plus importants, nous effectuerons des homogreffes. L’homogreffe ou allogreffe est un traitement spécifique, réservé dans la majorité des cas aux enfants. On prélève de la peau chez un donneur, on lui fait subir des tests et on les conserve dans de l’azote à moins 140°. Elle sera posée sous anesthésie souvent. C’est de la peau que l’on « colle » (allogreffe) car c’est un produit hautement viable lorsqu’il est bien conservé. Ce traitement est appliqué car une partie des cellules de la peau brûlée sont mortes et ne produisent plus de facteurs de croissance. Cette peau sert à guérir, elle sera rejetée spontanément après 10 jours par la peau qui guérit. L’utilisation des allogreffe est une spécialité de notre centre. Ailleurs on utilise des traitements plus classiques.
Nous soignons beaucoup les enfants en « ambulatoire ». Ils arrivent le matin à jeun, nous les endormons, nous refaisons leurs pansements et ainsi, ils peuvent retourner à la maison. Lorsque notre nouveau service sera achevé, dans quelques mois, nous pourrons accueillir les patients dans une « One day clinic », où 90% des patients traités seront des enfants. On pourra y faire la balnéothérapie, les anesthésies et réveils, pansements, etc. C’est important pour l’enfant d’être suivi par la même équipe à chaque soin, car il y une anxiété majeure pour l’enfant et aussi pour ses parents parfois. C’est pourquoi, la majorité des enfants sont suivis chez nous, car les soins prennent énormément de temps et c’est peu compatible avec un service traditionnel de soins à domicile.
Est-ce que le travail social est important pour les enfants à côté du travail médical ?
T.W. : les Cliniclowns viennent chaque mardi. Les enfants sont aussi invités à regarder des films et lire des bandes dessinées. Mais le plus important, c’est la présence des parents durant l’hospitalisation. Nous insistons vraiment pour que les parents ou un membre de la famille en qui il a confiance (grands-parents, marraine, …) restent le plus possible auprès de l’enfant. Si cela n’est pas possible, nous pouvons aussi faire appel à des bénévoles de l’association Pinocchio, pour prendre le relais.
Dr. S.J. : il y a deux raisons à cela. Pour les parents qui ont un sentiment de culpabilité, le fait qu’ils puissent participer aux soins peut les aider à déculpabiliser. Et deuxièmement, l’enfant se laisse beaucoup mieux soigner lorsque les parents sont là. Au-delà de 10% de surface de peau brûlée, l’enfant peut avoir besoin de deux fois plus de calories, d’aliments protéinés entre autres, c’est parfois plus facile de faire accepter à l’enfant de manger ce qu’il reçoit si les parents l’encouragent.
Grand merci pour ces informations et bonne continuation à toute l’équipe
Interview réalisée par Emmanuelle Vanbesien, coordinatrice Hospichild
Emmanuelle Van Besien
Fax: 02/512 25 44
15, rue de l'Association - 1000 Bruxelles
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Hospichild est une initiative des Ministres bruxellois en charge de la santé