Dans notre société aseptisée où la réussite et la santé sont portées aux nues par les médias, les marques et le discours collectif, quelle place occupent la maladie, la souffrance et la mort, en particulier quand elles touchent l’enfant ? Les soins médicaux sont-ils l’unique réponse à apporter à la maladie et au questionnement des malades et de leurs proches ? La spiritualité ne constitue-t-elle pas un besoin aussi vital que l’accès aux soins ?
La maladie comme anomalie
La maladie, la vieillesse et la mort sont complètement occultées de notre vie quotidienne. Considérées comme des sujets sinon tabous, du moins sensibles, elles s’accordent mal avec les filtres idéalisés de la société dans laquelle nous vivons, comme si elles ne concernaient que les autres, l’ailleurs ou l’après.
Conséquence : si la bonne santé est considérée comme normale, la maladie se perçoit dorénavant comme une réalité dérangeante, voire une anomalie. Cette conception est issue à la fois de l’inconscient collectif et d’une réflexion plus individuelle, enracinée dans notre perception de la vie et de la mort, ainsi que nos peurs profondes qui y sont associées.
La spiritualité, une question de vie ET de mort
Que se passe-t-il alors quand nous sommes confrontés à la maladie, à la souffrance et au risque de perdre un enfant ? Comment surmonter le choc et la violence de cette réalité perçue comme inacceptable, révoltante, incompréhensible ?
Quand la vulnérabilité et la finitude de l’être humain se rappellent cruellement à nous, il arrive que nous nous (re)découvrions une conscience plus aiguisée, le besoin de répondre à certaines questions, de trouver un sens à ce qui arrive. Notre capacité à satisfaire ce besoin impérieux pourra apporter une forme d’apaisement et conditionner en grande partie notre réponse à la maladie.
C’est dans ce contexte que la spiritualité apparaît comme une question de vie, une ressource pour affronter l’épreuve de la maladie, mais aussi, parfois, comme la «dernière oeuvre de structuration», à travers laquelle nous espérons « trouver une permanence entre la vie et la mort et ainsi faciliter le passage » (Elisabeth Kubler-Ross).
Soigner le corps et l’esprit : vers une approche holistique du patient
Alors que l’amélioration des techniques et connaissances médicales tend à privilégier le modèle d’un corps purement organique, dont la mécanique doit être correctement réglée, certains professionnels de la santé déplorent cette perception du patient réduit à un corps dysfonctionnel.
Les patients eux-mêmes se tournent de plus en plus vers les médecines dites « alternatives », en quête d’une approche « holistique » qui englobe l’être dans sa totalité, physique, psychique et spirituelle.
L’Occident a tendance à opposer le corps et l’esprit comme deux principes irréductibles dans une vision fondamentalement dualiste. Le spirituel ne concernerait que l’esprit, notion floue que d’aucuns associent à la pensée, à la conscience ou à la transcendance, selon les convictions personnelles. Le corps, quant à lui, se réduirait à la composante matérielle : os, chair, organes…
Or, pour reprendre les termes de Bénédicte Echard, et ce, indépendamment de toute conviction religieuse, « le spirituel n’est pas désincarné, il est charnel, le corps tout comme la parole, la vie ou le temps de crise, véhiculent le spirituel. »
La spiritualité de l’enfant face à la maladie
Le temps de l’hospitalisation oblige souvent l’enfant à rester alité, pendant un temps qu’il trouve long, parfois accompagné de ses parents, mais aussi seul à certains moments. Que se passe-t-il dans sa tête ?
Comme n’importe quel autre patient confronté à la maladie, il éprouve le besoin de donner un sens à l’expérience qu’il vit, à l’hospitalisation qui le coupe de ses modèles social et familial habituels. Ce besoin s’exprimera de façon plus ou moins intense selon la gravité de son état et son âge.
Martine Tremblay, animatrice pastorale dans un grand hôpital de Québec pose la question ainsi : « Les enfants ont-ils une spiritualité ? La véritable question n’est pas de savoir si les enfants ont une spiritualité… mais de découvrir comment ils l’expriment ». Dans une présentation intitulée « La spiritualité de l’enfant en soins palliatifs », l’auteur explore notamment le cheminement de l’acquisition de la pensée conceptuelle chez l’enfant, un parcours qui peut aider le parent ou les proches à le réconforter, à sa mesure.
Cependant, les enfants sont curieux de nature et nous ne sommes pas toujours armés pour répondre à leurs questions, particulièrement si elles sont d’ordre existentiel et ébranlent nos propres certitudes. Comment réagir selon nos moyens ?
- Une écoute attentive : laissez l’enfant verbaliser ses peurs, ses doutes, ses représentations. Une attitude d’écoute silencieuse permet parfois à l’enfant de trouver réconfort par le respect et l’accueil qu’il ressent.
- Des réponses authentiques : nos réponses peuvent refléter nos conceptions personnelles, mais devront toujours être exprimées avec authenticité, simplicité et humilité, quelles que soient nos convictions, pour laisser la place à la spiritualité propre de l’enfant. Chacun, adulte ou enfant, est libre de penser, de croire et d’exprimer ce qu’il ressent en son cœur, même si l’expérience d’un parent peut offrir des points de repère.
Certaines lectures pour les parents ainsi que des formations pour les professionnels peuvent également se révéler un support précieux pour accompagner l’enfant dans la totalité de son être et soigner aussi les bobos de l’âme.
Pour aller plus loin : « Raconter la vie spirituelle avec des enfants et des jeunes » – Spiritualité Santé, Elaine Champagne, Ph. D. Professeure agrégée Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, Canada, août 2021