Petite Pia : une « success » story qui cache un débat plus profond

Le combat des parents de la petite Pia est évidemment légitime. L’élan solidaire de toute la Belgique est impressionnant et formidable. L’engouement médiatique se justifie totalement. Mais tout cela mérite qu’on se pose quelques questions, notamment sur la mise en doute de l’efficacité du médicament et surtout, sur les inégalités entre les enfants malades.  

Mardi 17 septembre au soir, sur la page Facebook Go Cure Coline Events, association de parents dont l’enfant a la même maladie que Pia, on pouvait notamment lire : « Je ne suis pas opposé à leur récolte de fonds. Mais attention à ne pas être mal orienté vers un traitement qui pourrait faire plus de mal que de bien à leur enfant. Il y a d’autres combats à mener pour ces parents. Quoi qu’il en soit je me suis mis en contact avec les parents afin de leur apporter notre soutien dans leur combat. »  Combat qui a finalement abouti puisque les 1,9 million d’euros nécessaires à l’achat du très onéreux médicament « Zolgensma » ont été récolté en quelques jours grâce à l’envoi de 957.000 sms. « Il n’y a pas de mots » déclarait ce matin la maman de la petite Pia au journal HLN.  

Mise en doute du traitement au delà de 6 mois

Pourtant, une ombre semble planer au dessus de cette bonne nouvelle. Le spécialiste et professeur Laurent Servais a été le premier, contacté par des parents d’enfants malades et par l’Association Belge contre les Maladies neuroMusculaire, a avertir la presse de la chance minime de guérir la petite fille. Ce que ses parents semblaient déjà savoir puisqu’ils ont dit à la RTBF : « Nous savons très bien qu’il n’est pas possible de la guérir totalement. Le diagnostic est tombé à ses 4 mois et les muscles étaient déjà touchés. Mais une vie en chaise roulante sera déjà très beau. »

Selon Laurent Servais, Professeur de pédiatrie à l’Université d’Oxford et professeur invité à l’Université de Liège, spécialiste de l’amyotrophie spinale : « Un enfant de près de 10 mois qui présente une SMA1 n’a aucune chance d’être guéri par le Zolgensma ou par n’importe quel médicament. Il peut au mieux être légèrement amélioré, et c’est ce qu’on observe aujourd’hui avec le médicament actuellement disponible en Belgique » . Un médicament connu sous le nom de « Spinraza » qui est remboursé dans certains cas.

« Oui ce traitement peut sauver des enfants s’il leur est donné dès la naissance. Son efficacité est cependant remise en doute au delà des 6 mois. On ne guérit pas de la SMA. », rajoute l’un des parents de Coline sur la page Facebook qui lui est dédiée.

« Un accord de remboursement doit être négocié pour tous les enfants »

« Pour ceux qui en doutent, Maggie De Block a fait son boulot concernant les différents médicaments existants pour cette maladie. La petite Pia bénéficie déjà du même traitement que Coline, remboursé à 100% par l’État. Il s’ agit actuellement du seul médicament commercialisé sur le marché, les autres étant en phase d’études. » , explique encore l’un des parents de Coline.« Il ne nous semble pas opportun de tendre la perche aux laboratoires pharmaceutiques à coût de millions récoltés. Un accord de remboursement doit être négocié pour tous les enfants, pas au cas par cas. »

Ce qui ne semble pas vraiment possible à l’heure actuelle selon la ministre de la Santé : “Il n’y a pas encore d’approbation européenne pour ce médicament. Et ce n’est que lorsque celle-ci aura été obtenue qu’une demande de remboursement pourra être présentée. Nous ne pouvons donc rien faire pour ce bébé”. Elle ajoute aussi : « Nous ne pouvons pas tolérer que la vie d’une future petite Pia dépende d’une action par SMS. C’est pourquoi je continue à me battre pour trouver une solution structurelle. Je lance aussi un appel aux autres pays afin d’unir nos forces. »

Emballement médiatique mesuré ?

Ce buzz médiatique pose aussi la question du juste traitement de l’information. Car l’émotion a directement gagné la population qui s’est précipitée (et tant mieux !) pour aider la famille. Mais sur base de titres du genre : « La Belgique se mobilise par SMS pour sauver Pia » ou encore : « Un médicament pourrait sauver la vie de Pia »… Il est donc question de la « sauver », alors c’est bien normal de réagir (nous l’avons fait aussi).

Mais selon le spécialiste Laurent Servais, « Il y a un mensonge quand on dit que ce médicament pourrait guérir un enfant de 10 mois, c’est tout à fait inexact et toxique pour la communauté. Parce que là pendant qu’on parle, il y a 5 patients qui m’ont contacté en disant : ‘mais c’est quoi cette histoire, vous avez dit que cela n’était pas possible, mais cela l’est ou non  ?’.. L’association des parents m’a appelé pour que je réagisse. »

D’où la réaction des parents de Coline : « Nous sommes désolés de voir à quel point les médias n’ont à nouveau pas fait leur travail et ont diffusé une information sur base émotionnelle plutôt que sur base informative. »

« Inégalités entre enfants malades »

Il y a quelques mois de cela, au sein d’un article d’Hospichild intitulé « Soins aux enfants paralysés cérébraux : dissensions accrues entre kinés », Sébastien Vanderlinden, kinésithérapeute pédiatrique et chercheur freelance en Neuro(Ré)Habilitation à l’ULB, soulignait l’investissement parfois démesuré des parents pour tenter de soulager leur enfant handicapé.

Il disait : « Certains parents se demandent comment faire les bons choix pour leur enfant. Entre une perte de confiance envers certaines pratiques et des réactions plus extrêmes telles que l’exode/shopping thérapeutique, les familles ne savent plus toujours à qui (ou à quoi) se raccrocher pour venir en aide à leur enfant. (…) Certains parents décident de constituer des asbl ou fondations pour rassembler des fonds et avoir recours, comme les plus riches, à tous les soins possibles pour leur enfant. Il persiste cependant un décalage entre les besoins, (re)connaissances et les moyens. (…) On parle beaucoup, surtout en Wallonie, de discrimination entre personnes handicapées ET non handicapées et on oublie souvent de parler des inégalités ENTRE les personnes handicapées. Un constat qui a déjà été rapporté à CAP48. »

Et en parlant de Wallonie, si la petite Pia était né de ce côté-là du pays, elle aurait certainement été dépistée dès la naissance. Car c’est justement le professeur Laurent Servais, évoqué plus haut, qui a lancé, en Wallonie, un projet permettant de détecter de nombreuses maladies neuromusculaires sur les nourrissons. Projet auquel la Flandre n’a pas pris part…