Lettre ouverte de 60 pédopsychiatres : « Enfants et ados ont besoin de perspectives claires »

Une lettre ouverte signée par une soixantaine de pédopsychiatres belges vient d’être diffusée sur le site Le Spécialiste (l’actualité des médecins spécialistes). Le message est clair : les enfants et les adolescents doivent être entendus, car ils sont psychologiquement éprouvés par la pandémie. « Ils n’ont pas besoin d’encouragement. Ils ont besoin de mesures adaptées à leurs besoins psychiques et leurs besoins primaires. Ils ont besoin de perspectives claires. »

« Bientôt un an.

Un an qu’ils attendent docilement, font des efforts. 

Des plus petits qui marchent à peine aux plus grands ados.

Ils ont d’abord été pointés du doigt comme les moteurs de l’épidémie. Ils ont été coupés pendant deux longs mois de l’école, leur deuxième lieu de vie (pour certains seul lieu de support), lieu essentiel d’enseignement et d’apprentissages mais aussi de construction de soi. Privés de relations sociales, des pairs avec qui l’on apprend, on expérimente, on se forge une personnalité, on éprouve la vie en société, la solidarité, la bienveillance, l’amour, l’amitié, les moyens de se défendre. Autant de moyens de devenir un adulte, un citoyen acteur, accompli, prêt à affronter les bonheurs et les violences de la vie. 

On a rouvert les écoles… Pas complètement.

On a rouvert les activités extrascolaires… Pas complètement.

Les enfants ont eu la chance de reprendre le chemin de l’école, de retrouver quelques figures familières ou des habitudes importantes pour eux.

On a donné aux adolescents le minimum pour survivre psychiquement. De l’enseignement en partie à distance. Plus de contacts avec leurs copains. Plus le droit de se rassembler. Plus d’activités extrascolaires. Plus de câlins autorisés aux grands-parents. A peine le droit à un flirt avec qui il est interdit d’enlever le masque pour s’embrasser en rue.

On a rarement vu des adolescents aussi dociles qu’aujourd’hui. 

Au sein de nos consultations pédopsychiatriques, si la première vague a amené des enfants maltraités dans la solitude d’appartements clos, sans oxygène, ni pour les enfants ni pour les parents ; elle a également amené son lot de patients anxieux, entre les TOCS de lavage de mains et les angoisses de mort démesurées. Des enfants n’osant plus sortir de chez eux pour jouer en rue, de peur de transmettre la covid, et donc la mort, à leurs familles.

L’été un peu plus léger, le retour scolaire en septembre, ont permis un apaisement des familles que nous suivions et de leurs enfants.

La deuxième vague est encore plus inquiétante. Elle cristallise, psychiatrise.

Les patients que nous connaissons de longue date, stabilisés depuis parfois des années, s’effondrent, passent à l’acte, sur eux ou leur entourage. Plus de soupape, pas de perspective.

Des jeunes qui n’avaient aucun antécédent de suivi psychologique ou pédopsychiatrique sont demandeurs de soin. Dépressions, décompensations psychotique, angoisses… Plus de soupape, pas de perspective.

Il y a aussi ceux qui sont anormalement « bien » dans la situation actuelle, sous leur couette, devant réseaux sociaux et streaming. Comment les jeunes souffrant de phobie sociale et scolaire vont-ils sortir de leur chambre quand « tout sera fini » ??

Si nous avons l’habitude, en tant que pédopsychiatres, d’avoir plus de demandes que de possibilités de suivi, nous n’avions jamais été submergés à ce point. Les listes d’attente s’allongent tant dans les unités de soins pédopsychiatriques que dans les consultations. Les demandes d’interventions à domicile explosent.

N’étant ni épidémiologistes, ni virologues, ni infectiologues, ni politiciens, nous ne pouvons que poser ce constat plus qu’inquiétant : les adolescents sont en souffrance majeure actuellement, sans aucune perspective d’amélioration. Ils sont en plein développement, intellectuel et affectif. Si la situation perdure, sera-t-elle « rattrapable » ?

Les enfants plus jeunes sont actuellement un peu plus préservés, vu la poursuite de leur scolarité et de leurs activités extrascolaires. Ils ont également moins besoin de se frotter au monde que les ados. Mais quel impact pour eux aussi, sur la durée ? On connaît malheureusement l’impact délétère d’un stress chronique sur un cerveau en plein développement.

Ni épidémiologistes, ni virologues, ni infectiologues, ni politiciens, nous souhaitons porter la voix des enfants et adolescents dont nous prenons soin quotidiennement. 

Ils n’ont pas besoin d’encouragement. Ils ont besoin de mesures adaptées à leurs besoins psychiques et leurs besoins primaires. Ils ont besoin de perspectives claires.

Ils ne parlent pas très fort. Mais ils sont notre avenir. »

 

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