Clowns en milieu de soins, à quand une fédération professionnelle ?

Dans le cadre du Festival « Espèce(s) de Clown(e)s », la 1ère édition belge dédiée aux arts clownesques et associés, un focus sur les clowns en hôpital s’est déroulé au théâtre de La Montagne Magique ; « pour mieux goûter à ce qu’apporte un clown dans les milieux d’accueil, d’aide et de soins »L’équipe d’Hospichild a assisté à une partie de l’après-midi qui mettait en valeur, lors d’une table ronde, les histoires singulières de sept personnalités en lien avec le milieu. Tous étaient d’accord pour lancer un appel aux pouvoirs publics : « À quand une fédération professionnelle de clowns en hôpital ? »

La table ronde tournait, sans surprise, autour du sujet des clowns en milieu de soins. Un moment d’échange et de réflexion sur le sens de cette pratique artistique. Quelques intervenants, responsables d’associations, initiatrices de projets, actrices et acteurs de terrain, se sont réunis pour tenter de rendre compte de ces expériences vécues au cœur du soin. Une discussion hautement enrichissante, modérée par Catherine Vanandruel, directrice des Clowns à l’hôpital.

Sept intervenants, sept destins singuliers

Parmi les invités à la table ronde, il y avait une majorité de clowns hospitaliers bien sûr (sans leurs apparats), mais aussi un infirmier. Une question leur a été posée à chacun, selon leur parcours, et ils avaient environ dix minutes pour se présenter et pour débattre sur le métier. Certains sont clowns en maison de retraite, d’autres en pédiatrie, d’autres encore se produisent auprès de publics fragilisés dans d’autres secteurs de la vie sociale (cpas, sdf, centre de réfugiés…). Ils viennent de différentes villes du pays et ont parfois même de l’expérience au delà de nos frontières. Chaque intervenant a commencé par une petite phrase qui résume, pour lui.elle, le métier de clown en hôpital : « Un voyage dans le temps » ; « Le moment évasion de la semaine » ; « Un véhicule allégé pour prendre soin » ; « Un accès à plein d’espaces temps invisibles » ; Etc. 

Les moments forts de la rencontre

Sébastien, sociologue, clown en maison de retraite (avec la compagnie le Goupil) et animateur de théâtre-action, commence la discussion avec sa vision du métier : « La particularité du clown est qu’il ose parfois aller très loin. Mais en milieu de soins ,il faut être plus vigilant. Il faut rester souple et dire oui, écouter les gens ; s’amuser sans être cynique. L’important c’est qu’il y ait une plus-value après notre passage ; que ça fasse du bien aux résidents. Parfois, la magie opère, comme cette fois où le résident, qui ne parlait pas, s’est mis à reparler avec nous. »

Simon, infirmier à La Petite maison à Chastre (un hôpital psychiatrique pour enfant et adolescent avec des troubles du développement, d’abandon…), se place de l’autre côté du décor ; celui des soignants. Il joue un rôle de relais, depuis 2016, entre les enfants et les Cliniclowns qui se déplacent chez eux un mercredi par mois. Il s’enthousiasme :

Les clowns permettent aux enfants de s’évader, ils sont dans l’ambiance et ne pensent plus à leurs difficultés. »

De l’autre côté de la salle, un autre Sébastien prend la parole. Il fait partie de l’association liégeoise Rire à l’hôpital depuis 2017. Pour lui, « le clown vient créer un univers qui vient se combiner avec celui du patient ». Il continue : « Quand on entre dans une chambre, ce qu’on a devant nous est un public et non pas un enfant malade. C’est un public très singulier, car on peut jouer très proche de la personne, dans un environnement aseptisé que les clowns doivent s’approprier. Le patient est accompagné par tout un tas de personnes qui viennent lui parler de lui et de son corps. Le clown débarque et lui permet de regarder autour de lui, en dehors de lui, de le faire voyager. Un hôpital sans clowns, ce serait sûrement bien triste. »

Julie est comédienne et clown (remplaçante) chez CliniClown (structure flamande, mais bilingue sur le terrain). Elle se produit occasionnellement au sein de plusieurs hôpitaux en Belgique. Pour elle, être clown est un défi artistique qui nécessite de donner « un temps qui nourrit plutôt qu’un temps qui remplit ; d’offrir un temps de connexion ». Il faut pour ça des outils d’improvisation, de jeu, d’empathie ; pour transformer le ressenti en matière de jeu ; « le plomb en or ». Outre ce défi artistique, il est aussi question de défi humain. Pour Julie, il a fallu renoncer à sa place de sauveuse du monde et ne pas ramener le travail à la maison. Accepter de créer, de partager un instant et puis partir sans rien attendre.

Je vais ni soigner, ni sauver, j’offre un instant qualitatif. Point. »

Renelde, l’une des plus expérimentées, fondatrice des Docteurs Zinzins (en 1992), répond à la question : quels liens entre création et processus de guérison : « Le processus de création permet de s’exprimer, de mettre en jeu, de créer un effet cathartique. Il a un effet thérapeutique qui arrive de surcroit. » Elle était aussi à la base de la réflexion du réseau Art et Santé, pour créer un code déontologique des artistes en milieu de soin. « On est en co-création avec l’enfant pour lui donner le pouvoir d’être le maître du jeu. Il est question de l’accompagner au plus près. Notre rôle est de lui donner la possibilité de s’exprimer pour qu’il puisse témoigner de ses besoins. » Renelde évoque ensuite la responsabilité du clown de s’ajuster à la situation de l’enfant. « On partage de la vie et de l’espoir. J’aime me sentir utile à l’autre. »

Bart, enfin, fait le clown pour différentes structures, autant en français qu’en néerlandais. À la question « Comment le clown peut aider les patients à exprimer leurs émotions ? », il répond humblement :

Plus je fais le clown et moins je sais ce qu’il est réellement »

S’habillant déjà en robot à l’âge de 9 ans pour attirer l’attention des passants, Bart est baigné par ce monde-là depuis bien longtemps. « Je suis là à un instant précis et j’accueille ce qu’il va se passer. Le clown nous porte et est beaucoup plus grand que nous. On reste à l’écoute de ce qu’on peut créer, des rôles qu’on peut jouer. Parfois on peut être là et c’est déjà assez. On ne colle pas d’étiquettes sur ce qu’est le clown et sur ce qu’on va faire. Je ne viens rien apporter, je viens recevoir des cadeaux, des moments bijoux. J’ai plein d’outils pour le faire, mais ça reste une éternelle recherche. C’est un contact d’humain à humain. Le clown m’aide à oser et à ramener de la légèreté. »

Moquerie ou jeu ?

Au moment des réactions de la salle, composée principalement d’acteurs du métier, une aide soignante a soulevé la question de la subtile séparation entre jeu ou moquerie. Qu’en est-il des gens qui pourraient se vexer ? Est-ce qu’on n’entre pas parfois dans de la moquerie ? Pour l’un des clowns Sébastien, cela peut arriver de se tromper, mais le fait d’être à deux permet de désamorcer le malaise, voire d’en jouer. Pour l’autre Sébastien, le clown a le droit de tout faire et même de se moquer, tout en restant bienveillant. Il faut bien sûr avoir créé un lien avant avec la personne ou au moins être entré en connexion.

N’allez pas appeler un enfant cancéreux ‘crâne d’œuf’ dès la première visite ! »

Spectacle Le Nez dans l’Hô(pital)

Un spectacle intitulé Le Nez dans l’Hô(pital) a également été joué plus tôt dans l’après-midi, pour le plus grand bonheur des enfants.« Le Nez dans l’Hô(pital) c’est l’histoire de 2 clowns qui pointent leur nez, leur sourire, leur désir de rencontre, leur délire dans un service de pédiatrie. C’est aussi l’histoire de regards, de moments, de vie. C’est surtout l’histoire d’enfants, de parents, de soignants. C’est la vie, dans tous ses éclats…de rires. C’est la vie où qu’elle soit, quel que soit le moment ! Juste la vie à l’instant présent ! » Hospichild avait eu l’occasion d’assister à une des représentations lors des trente ans des Docteurs Zinzins. Un moment à la fois joyeux et quelque peu poignant du fait des histoires souvent dramatiques des enfants hospitalisés.

Les clowns hospitaliers au cinéma

Pour rester dans les représentations fictives autour du sujet, un long métrage réalisé par Reda Kateb est sorti récemment en France. « Sur un fil », c’est l’histoire de « Jo, une jeune femme, artiste de cirque de rue, qui découvre le travail des clowns professionnels de « Nez pour rire ». Vite – peut-être trop vite – entrée dans l’association, elle se retrouve à l’hôpital au contact des enfants, des malades, des soignants et des familles, à qui ces clowns tentent inlassablement d’apporter de la joie et du réconfort. » Un autre film du même acabit avait également été projeté au cinéma il y a un an de cela : Sortie cinéma : coup de projecteur sur les enfants hospitalisés avec Le Grand Cirque. Enfin, plus localement, un documentaire a été consacré aux artistes en milieu de soins : Art en milieu de soin : projection du film « La vie est là ».

Le fait de parler du sujet, d’en faire des spectacles, des fictions, des débats… marque bien l’idée que ce métier voudrait plus de structure, plus de reconnaissance. Et pourquoi pas créer enfin une fédération des clowns en hôpital ? Le secteur, en tout cas, n’attend que cela.

 

Texte et photos : Sofia Douieb

 

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