Documentaire : quand l’inceste s’invite dans “Une famille”

« Une famille » de Christine Angot est un documentaire édifiant sur l’inceste. Une projection a eu lieu le 25 mai dernier au cinéma Palace, en présence de plusieurs professionnel.le.s du secteur. Hospichild y était pour vous ; pour enfin parler de ces enfants victimes de bourreaux bien trop proches d’eux. 

©Sofia Douieb

 

Le sujet de l’inceste fait peur et rebute. Comme si on ne voulait pas savoir, pas voir. Mais il concerne pourtant, selon les chiffres de l’OMS, un enfant sur dix. Alors ouvrons les yeux pour eux ; pour mieux observer les signes et pour enfin leur venir en aide. Des films comme celui de Christine Angot sont essentiels en ce sens.

Synopsys de « Une famille »

Voici un court résumé du documentaire : « Armée d’un courage ahurissant, d’une caméra et d’ami·e·s cher·ère·s, l’autrice Christine Angot se rend à Strasbourg, ville où elle a rencontré son père à l’âge de 13 ans et où il l’a violée pour la première fois. Interrogeant famille et proches, elle rouvre les blessures, force les portes fermées et ausculte les mécanismes du tabou de l’inceste. Un film puissant, urgent, important. »

« Le silence peut faire plus de mal que de ne rien dire »

Annick Faniel, sociologue et coordinatrice de l’asbl CERE (Centre d’expertise et de ressources pour l’enfance), était présente à la projection. Elle a dirigé une étude intitulée « L’inceste : l’enfant, la loi, la culture. Changer de regard ». Voici son impression sur le film : « Dans toutes les formes de maltraitance il y a une emprise émotionnelle. Le silence peut faire plus de mal que de ne rien dire. C’est précisément cela qui a conduit Christine Angot à insister aussi longtemps pour qu’on l’écoute. Ce film montre que c’est un fait public, que ça nous concerne toutes et tous. » 

Annick Faniel a ensuite rappelé ce que prévoit la loi en cas d’inceste : « Le Code pénal sexuel de 2022 définit enfin l’inceste, ainsi que les notions de consentement, et propose des peines aggravées. Avant cela, ce n’était même pas repris dans la loi ! Depuis #MeToo en 2021, les plaintes et les témoignages de mineurs abondent. En Belgique, il est notamment possible de se rendre dans ce qu’on appelle un PVS ; un centre de prise en charge urgente des violences sexuelles sur mineur. Il y en a de plus en plus, mais, malheureusement, ils n’incluent pas la prise en charge à moyen et long terme. Pourtant, il est essentiel que le travail de soutien continue et que l’enfant ne se sente pas abandonné en cours de route. Il faut pouvoir oser parler quand on est témoin. Et pour cela, l’adulte se doit de poser des questions et d’entendre les réponses sans les mettre en doute. Il faut poser un regard bienveillant sur ce qu’un enfant peut nous dire et nous montrer. L’observation est primordiale. Le débat doit être amené sur la place publique.« 

Des chiffres ahurissants

Selon l’OMS, 1 enfant sur 5 subit un viol et 1 enfant sur 10 subit un inceste ; soit 2 ou 3 enfants par classe. Annick Faniel explique qu’il est difficile d’avoir des chiffres en Belgique à cause des enfants qui ne parlent pas (ou alors qui ne sont pas entendus ou pris suffisamment au sérieux). En outre, dans le Code Pénal, l’inceste est défini comme un « acte sexuel commis par un proche ». Mais parfois, il est plutôt question de « climat incestuel », également puni par la loi. On parle ici par exemple de regarder un porno en famille, de ne pas respecter l’intimité, d’avoir des relations sexuelles devant les enfants…

« Tourner la page de ce passé est trop dur »

La deuxième intervenante de cette rencontre s’appelle Pascale Hardy. Elle a été victime d’inceste de ses 3 à 13 ans. Le film, elle l’a trouvé juste et poignant : « L’inceste, ce sont des cris à l’intérieur et rien à l’extérieur. On est pourtant des décennies après les faits et elle ressent encore autant de colère et je le comprends. Tourner la page de ce passé est trop dur. J’ai entendu le film comme un besoin de reconnaissance de sa place de victime et un besoin de pardon de la part de sa famille. Sa belle-mère qui porte encore plainte contre elle, ça prouve qu’elle ne l’a pas encore ce pardon. » 

Pascale témoigne ensuite de sa propre histoire : « Contrairement à Christine Angot qui n’a jamais rien oublié, j’ai vécu pour ma part ce qu’on appelle une amnésie traumatique jusqu’à mes 50 ans. Les viols de mon père ont commencé quand j’avais 3 ans et ont perduré jusqu’à mes 13 ans. Les facteurs pour oublier sont : la répétition des faits, à très jeune âge, par une personne très proche. J’ai dû attendre le décès de mon père pour que ça se réveille. Le film “Les chatouilles” y est aussi pour quelque chose, car après l’avoir vu, j’ai commencé à avoir des phobies, des peurs… J’ai ensuite commencé une thérapie avec de l’hypnose et tout est revenu petit à petit. Jusqu’à une “levée traumatique” où j’ai eu des flashs en pleine nuit et puis une sorte de paralysie. Je me suis mise à crier si fort, si profondément tellement j’avais peur. Après ça, tout est revenu très clairement. »

Ressources pour s’informer et lutter

La prévention est ainsi primordiale pour permettre de changer les choses, ou du moins de mieux observer et écouter les enfants quand ils viennent se confier. Plusieurs média ou associations (Yapaka, CERE…) proposent du contenu et des activités de sensibilisation en ce sens. Des films commencent à aborder le sujet : Dalva, Les Chatouilles, Un silence assourdissant, Une famille… Des livres, des podcasts et autres permettent aussi de s’informer et d’en parler. À Bruxelles, un gros événement sur le sujet est déjà programmé le 10 décembre à « La Maison qui Chante » à Ixelles.

Une phrase de Dorothée Dussy, anthropologue et spécialiste de la question, pour terminer : « L’inceste, ce n’est pas un tabou de le faire, mais c’est un tabou d’en parler. » — Ça devrait être le contraire évidemment !

Sofia Douieb

 

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