Archives du tag : fratrie

Roman primé : « S’adapter » à la naissance d’un enfant handicapé

 « S’adapter » de Clara Dupont-Monod (aux éditions Stock) fait décidément des émules dans le petit monde des prix littéraires : il faisait partie de la sélection du jury du célèbre prix Goncourt, a reçu le prix Fémina et tout récemment, le Goncourt des lycéens ! C’est l’histoire « magnifique et lumineuse » de la naissance d’un enfant handicapé racontée par sa fratrie.

Loin du pathos, du larmoyant ou de l’apitoiement, ce récit semi-autobiographique en trois parties expose la vision de chaque membre d’une fratrie face à « l’enfant » lourdement handicapé. Il y a l’aîné, qui ne s’en remettra jamais, la cadette, jalouse et en colère, et le dernier qui doit vivre après l’absence. Chacun tente de faire avec; de ‘s’adapter’. Pour raconter l’histoire douloureuse mais néanmoins solaire de cette famille, les narrateurs ne sont autres que les pierres de la cour de la maison. Comme si les murs avaient des oreilles… Et on les écoute d’une traite, sans pouvoir lâcher le bouquin, sans oser respirer ni bouger. La plume est belle et affutée; d’une poésie sans fioritures. On ressent la nature à travers elle, on perçoit les sentiments, les doutes et les peines. Ce n’est pas un livre qui se lit, mais qui se vit de tout son être.

L’enfant, l’inadapté

À la naissance du bébé, troisième enfant d’une famille habitant au coeur des montagnes dans les Cévennes, rien ne présageait de son handicap. Au fil des semaines, les parents remarquèrent qu’il ne fixait pas son regard et qu’il n’attrapait rien. Un bilan médical confirma qu’il était non seulement aveugle, mais également encéphalopathe; c’est-à-dire que son cerveau ne pouvait donner aucun signal aux muscles. Tout son corps resterait ‘mou’ comme celui d’un nouveau-né. Il serait ‘inadapté’ toute sa courte vie (3 ans maximum disaient les médecins – 10 ans en réalité). Or, « leur pays voulait du solide, du bon rouage. Il n’aimait pas les différents. Il n’avait rien prévu pour eux. Les écoles leur fermaient la porte, les transports n’étaient pas équipés, la voirie était un piège. Le pays ignorait que, pour certains, la volée de marches, le rebord et le trou valaient pour falaise, muraille et gouffre. »

L’aîné, le blessé

« L’enfant ne pouvait ni voir ni saisir ni parler, mais il pouvait entendre. Par conséquent, l’aîné modula sa voix. Il lui chuchotait les nuances de vert que le paysage déployait sous ses yeux, le vert amande, le vif, le bronze, le tendre, le scintillant, le strié de jaune, le mat. » De toute la fratrie, c’est l’aîné qui s’en occupe le plus. Il adopte une posture protectrice et quasiment exclusive avec ‘l’enfant’. Jamais il n’éprouve de honte ou d’impatience à son égard. Il est fusionnel, presque siamois avec son frère. Mais cet attachement, bien que salutaire, est aussi destructeur pour l’aîné. Il ne supporte pas son départ chez les bonnes soeurs et encore moins son départ de ce monde. Il décide à jamais de vivre dans le souvenir, sans oser vivre sa propre vie…

La cadette, la frondeuse

« En la cadette s’implanta la colère. L’enfant l’isolait. Il traçait une frontière invisible entre sa famille et les autres. Sans cesse, elle se heurtait à un mystère : par quel miracle un être diminué pouvait-il faire tant de dégâts ? L’enfant détruisait sans bruit. » L’auteure, certainement la cadette de l’histoire, lève ici un tabou dans le monde du handicap ; elle ose évoquer le dégoût et l’extrême jalousie parfois ressentie par certains frères et soeurs. Cette soeur-ci est en colère contre son petit frère ; elle lui en veut de s’accaparer ainsi son grand frère avec qui elle était si proche avant lui ; elle le déteste d’avoir rendu sa famille si vulnérable ; elle a monstrueusement honte surtout de ressentir tout ça à son égard… Alors elle décide très vite de s’éloigner, loin de tout, et de tenter de s’épanouir ailleurs. Elle choisit, contrairement à l’aîné, de se tourner vers la vie.

Le dernier, le sorcier

Quelques années après la mort de l’enfant, le couple (toujours soudé malgré les épreuves), attend un autre petit garçon. L’angoisse s’empare d’eux, mais il est en bonne santé. Il grandit discrètement comme si, déjà, il savait qu’il ne devait pas éprouver ses parents. Son frère et sa soeur ont déjà quitté la maison et ne reviennent que pendant les vacances. Le dernier vit au milieu du fantôme de ‘l’enfant’, omniprésent malgré son absence. Il voudrait l’avoir connu ; il lui parle souvent en pensées ; il l’aime à travers les souvenirs que sa soeur lui raconte. « Il se sentait usurpateur. Il s’excusait silencieusement auprès de son frère. Pardon d’avoir pris ta place. Pardon d’être né normal. Pardon de vivre alors que tu es mort. »  Sensible, décalé et en avance de ‘mille ans’ sur ses camarades (‘sorcier’), le dernier s’emploiera toute sa vie à protéger les plus faibles ; une manière pour lui, sûrement, de prendre soin de celui qu’il ne connaîtra jamais.

Sofia Douieb

 

À LIRE AUSSI :

« Elle est super ta soeur » : quand la fratrie et le handicap s’invitent sur scène

Le week-end dernier, Hospichild a eu l’opportunité, par le biais de l’asbl FratriHa (projet de sensibilisation, de soutien et d’information à destination des fratries de personnes déficientes intellectuelles), d’assister à la pièce de théâtre « Elle est super ta soeur », de la toute jeune compagnie ‘Un soir d’été’. Magali Zambetti, la benjamine de la famille, a livré, seule sur scène, son ressenti, ses souvenirs, ses joies et ses peines face à la trisomie de sa grande soeur Céline et face au handicap en général. Un spectacle rempli d’émotions, de rires et de vérités sur le quotidien par toujours facile à vivre de ces fratries souvent dans l’ombre. 

handicap fratrie
© Cie ‘Un soir d’été’

 

Dans la pénombre de cette petite salle improvisée dans les locaux de l’asbl FratriHa – qu’Hospichild connait bien pour lui avoir déjà consacré un focus-, la joie d’à nouveau assister à un spectacle était palpable. Quand Magali est arrivée sur scène, son regard a immédiatement figé l’assistance. Tout le monde savait qu’elle allait nous parler de sa soeur Céline et de son chromosome supplémentaire. Mais aussi de sa vie à elle et de son statut de « soeur de ». De la vie de son autre soeur Delphine aussi, et puis de leurs parents. De tous ceux, finalement, qui vivent la même situation et qui se reconnaîtront certainement dans les propos de Magali… Cette pièce, c’est « un cri contre l’individualisme, le repli sur soi et les gens négatifs ; une déclaration d’amour à la différence ».

Punchlines incisives sur la perception du handicap

Tout au long du spectacle, la comédienne n’a pas eu peur de dire ce qu’elle pensait; autant à sa soeur qu’à tous ces « cons » qui « collent des étiquettes sur les personnes plutôt que sur les pots ». Elle a évoqué, de manière drôle et sensible, des situations parfois complexes et dérangeantes, tels que ces regards insistants des gens au restaurant ou le fait que le serveur ne s’adresse pas directement à elle, comme si elle n’allait pas comprendre… « J’aimerais que vous regardiez Céline comme vous me regardez aujourd’hui », a notamment lancé Magali. Nombreux ont été les moments d’émotion, souvent mêlés à l’humour. Je pense par exemple aux enregistrements audio de Céline qui ont été diffusés pendant le spectacle : « La trisomie ça fait partie de moi depuis la naissance »… Et puis quand la comédienne parle de la différence, de l’inclusion, du handicap au sein de la société et qu’elle s’indigne que les gens ne soient pas encore assez ouverts ; et qu’après, elle affirme, comme si elle parlait à sa soeur : « Moi j’ai un avis, toi tu sais ». 

Quid de l’après, quand les parents ne seront plus là ?

Entre deux anecdotes sur sa soeur (comme sa passion pour Stéphane Bern, pour la danse, pour Christophe Maé…), Magali a évoqué un sujet tabou dans les familles confrontées au handicap : la responsabilité des frères et soeurs lorsque les parents ne seront plus là. Cette problématique, Eleonore Cotman, fondatrice de FratriHa, en avait parlé lors de notre interview avec elle : « Les fratries adultes se demandent souvent comment vivre leur vie de couple ou de famille en intégrant leur frère/sœur, comment s’organiser une fois que les parents ne seront plus là, et aussi, la place qu’ils ont en tant que fratrie au sein des institutions. » Dans sa pièce, Magali s’inquiétait de savoir si elle allait devoir « remplacer » sa maman avec qui Céline a une relation extrêmement fusionnelle ; elle s’inquiétait du contact qu’elle allait avoir avec l’institution spécialisée ; elle s’inquiétait des multiples allers-retours vers le centre : « Aller la chercher au centre, lui faire à manger, s’occuper d’elle, la reconduire au centre ; aller la chercher au centre, lui faire à manger, s’occuper d’elle, la reconduire au centre ; aller la chercher au centre… », a répété une dizaine de fois la comédienne en tournant à toute vitesse sur la scène. 

Hommage à tous ces laissés pour compte

À la fin de la pièce, Magali a tenu à mettre en avant toutes ces personnes avec un handicap qui ont bien plus de choses à nous apprendre qu’on ne le pense et qui débordent souvent d’humour et de joie de vivre. Elle les a citées une à une avec chaque fois une anecdote vécue : « Je pense à unetelle qui, au moment de prendre le bus a suggéré qu’on prenne plutôt l’hélicoptère ; je pense à untel qui demande constamment combien d’étoiles scintillent dans le ciel ; … » Le but de cette pièce est d’ailleurs de braquer un projecteur sur le handicap afin qu’il fasse enfin partie de la société et que les gens ne soient plus choqués ou dérangés par la présence de la différence. Au moment de l’échange avec le public, après la représentation, Magali parlait avec envie de l’association québequoise « Personne D’Abord » et de tout ce qu’ils accomplissent au sein de leur ville. Là-bas, l’inclusion est apparemment partout et ne pose plus de souci. Une réalité qui, espérons-le, aura peut-être un écho chez nous, un jour…

→ Le spectacle sera en tournée tout l’été. Pour en savoir plus, rendez-vous sur la page Facebook de la compagnie ‘Un soir d’été’.

 

Sofia Douieb

 

À LIRE AUSSI :

Un livre pour parler de la prématurité aux frères et soeurs

Préparer et accompagner les enfants à se confronter à la prématurité de leur frère ou sœur, c’est le but premier d’un tout nouveau livre intitulé Ma courageuse petite soeur, écrit par une infirmière toulonnaise. En face de douces illustrations signées Sylvain Depitout, des mots à hauteur d’enfants tentent de dédramatiser, sans minimiser, une situation souvent douloureuse pour toute la famille.

« Il paraît que les yeux d’enfants ne voient que l’essentiel… » Cette phrase tirée du livre Ma courageuse petite soeur exprime le fait que, malgré l’attirail autour de la sœur ou du frère prématuré, l’enfant ne voit que le bébé et non pas les fils et le masque qu’il porte. Et cette phrase est également l’une des préférées de l’auteure, Déborah Le Meur, qui a souhaité écrire « une petite histoire du soir, légère, permettant aux enfants d’exprimer leurs émotions et de renforcer le dialogue avec leurs parents. »

« Les fratries sont les oubliées de la prématurité »

Ce livre vient avant tout « réparer » une injustice relevé par l’auteure : « Les fratries sont les oubliées de la prématurité ». Souvent, en effet, les frères et soeurs ne peuvent pas tout de suite rencontrer le bébé et ressentent une certaine frustration, voire un rejet. L’infirmière en néonatalogie a voulu remédier à cela d’abord dans l’hôpital où elle travaille à Toulon, en leur donnant une plus grande place au sein de son service, et ensuite plus largement en écrivant et publiant ce récit.

Un livre-outil capable de faire exprimer les émotions

Si l’histoire est « légère » comme l’a exprimé l’auteure, ce n’est pas pour autant que son impact sera anodin. Grâce à un système de « petites étoiles » à colorier par l’enfant sur chacune des pages, il pourra exprimer son sentiment et ce qu’il ressent par rapport à ce qui est écrit et qu’il associe ou non à son propre vécu. Un moyen ludique qui permet aux parents de faire de ce livre un véritable outil pour communiquer avec l’enfant.

7 à 8 % des bébés naissent trop tôt

Pour rappel, et comme l’exprimait à Hospichild le docteur Anne-Britt Johansson, chef du service de néonatologie à l’Hôpital des Enfants : « En Belgique, 7 à 8% des bébés naissent trop tôt. Dans 80% des cas, on le sait en avance et les parents peuvent s’y préparer. Il y a trois degrés de prématurités : extrême (avant 28 semaines), grande (entre 28 et 32 semaines) et modérée (entre 32 et 36 semaines). Si les grands prématurés ne sont pas plus nombreux qu’avant, les prématurés modérés ont réellement augmenté du fait que les femmes font des enfants de plus en plus tard. »

Sofia Douieb

Vers le site web du livre 
Acheter le livre Ma courageuse petite soeur 

 

À LIRE AUSSI