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Maladies rares pédiatriques : comment la lutte s’organise à Bruxelles ?

Il y a peu, c’était la journée mondiale contre les maladies rares en Belgique. Un de nos articles y a été consacré, mais on s’est dit qu’il fallait en faire davantage ; que le sujet méritait qu’on s’y penche plus profondément afin de mettre en lumière, notamment, les acteurs de la lutte contre ces maladies. Hospichild se consacre, depuis presque 15 ans, à l’information autour des enfants gravement malades à Bruxelles. Il nous a dès lors paru logique et évident de dédier spécifiquement ce focus aux maladies rares pédiatriques dans la capitale.

maladies rares enfants

À Bruxelles, faute de centres d’expertise reconnus pour les maladies rares, des centres de référence sont accessibles dans trois hôpitaux universitaires disposant d’une « fonction maladies rares ». Cette sorte de label créé en 2014 suite à l’adoption du Plan belge pour les maladies rares, atteste que l’Hôpital universitaire UZ Brussel, le CHU ULB Erasme et les Cliniques universitaires UCL Saint- Luc disposent d’une expertise avérée pour ce type de maladies. À côté de ces trois structures, l’Hôpital Universitaire des Enfants Reine Fabiola offre également un suivi pédiatrique de qualité dans le domaine.

Les associations telles que RaDiOrg ou Rare Disorders Belgium (RDB) chapeautent, quant à elles, l’ensemble des associations de patients atteints d’une maladie rare et font en sorte que leurs voix soient entendues aussi bien auprès du politique que du grand public. Quant à la recherche dans le domaine, elle manque encore cruellement de moyens et de soutien de la part des firmes pharmaceutiques ; forçant des organismes tels que Belgian Kid’s Funds à se démener pour récolter des fonds. Pour les ressources, enfin, la plateforme Orphanet est incontournable et sera présentée, au même titre que l’ensemble des structures précitées, au sein de ce grand focus.

30% des enfants affectés n’atteindront pas l’âge de 5 ans

Par « maladies rares », il faut entendre des maladies qui touchent un nombre d’individus relativement réduit (5 sur 10.000 en moyenne) et qui, en raison de leur rareté, sont souvent associées à des problèmes spécifiques. En Belgique, 6 à 8 % de la population souffre d’une maladie rare. Dans 50 % des cas, celle-ci apparait pendant l’enfance et 30% des enfants affectés n’atteindront pas l’âge de 5 ans. À ce jour, entre 6.000 et 8.000 maladies rares ont été cliniquement définies et de nouvelles pathologies sont régulièrement décrites par les chercheurs. Le plus souvent, il s’agit de maladies sévères, chroniques, évolutives, impliquant des handicaps, diminuant l’espérance de vie... Pour la plupart, il n’existe pas de traitement curatif, mais des soins appropriés pour améliorer la qualité et la durée de vie.

Focus sur les maladies rares les plus connues

Selon Sciensano, l’Institut scientifique belge de santé publique, les maladies rares les plus connues (soit parce que les plus courantes, soit parce que très médiatisées) sont : 

spina bifida 
mucoviscidose (la plus médiatisée)
maladie de Huntington
neurofibromatose type I
sclérose latérale amyotrophique (SLA ou maladie de Charcot) : a été révélée au grand public en 2014 suite au « Ice Bucket Challenge » et ensuite, via le film dédié au physicien Stephen Hawking qui était atteint de cette maladie.
dystrophie musculaire de Duchenne
phénylcétonurie

Consulter ici la liste complète des maladies rares

↓Vidéo des CUSL sur le dépistage et le traitement des maladies rares, notamment pédiatriques

Centre de référence des maladies rares de l’UZ

Le « Centre de référence des maladies rares » de l’hôpital UZ fait partie du Réseau flamand des Maladies Rares. L’enfant ou l’adulte présentant une combinaison de différents symptômes ou se plaignant de façon inexpliquée est rapidement soumis à un premier « trajet optimal » afin de l’orienter auprès de l’expert ou de l’équipe d’experts adéquat(e). Une équipe multidisciplinaire se coordonne pour mettre au point un diagnostic et ensuite un traitement optimal, un suivi de l’évolution, un soutien psychosocial… (→ Consulter ici le dépliant explicatif du Centre)

Très récemment, une toute nouvelle initiative nommée Saffier associe l’UZ Brussel à deux autres hôpitaux flamands. Ensemble, ces partenaires vont collaborer intensivement autour de la chirurgie pédiatrique avec comme spécialisation les troubles rares chez les enfants, des nouveaux-nés jusqu’aux adolescents de 16 ans inclus. Cela peut concerner, par exemple, des enfants nés avec une malformation de l’œsophage, une occlusion intestinale ou une malformation anorectale.

Centre pour les maladies rares de l’hôpital ULB-Erasme

Le Centre pour les maladies rares ULB-Erasme est épaulé au quotidien par le Centre de Génétique de l’ULB. Ce qui est assez logique vu que 80% des maladies rares ont une cause génétique. Ces deux centres ont pour mission de prendre en charge tout patient présentant, ou suspect de présenter, n’importe quelle maladie rare. Ils possèdent une expertise particulière dans les groupes de maladies rares telles que les malformations rares et causes rares de déficit intellectuel, les athologies héréditaires du globule rouge, les cardiopathies héréditaires… La recherche pédiatrique dans le domaine occupe également une place importante à l’hôpital Érasme. Les chercheurs s’emploient au quotidien à découvrir de nouvelles explications aux affections génétiques de l’enfant, qu’il s’agisse de maladies rares et encore orphelines, ou d’affections plus fréquentes comme les problèmes de développement neurologique de l’enfant.

L’Institut des maladies rares des Cliniques universitaires Saint-Luc

L’ Institut des maladies rares des Cliniques universitaires Saint-Luc est extrêmement pointu et composé d’une multitude de centres experts et spécialisés dans l’une ou l’autre maladie rare. Comme on peut lire sur le site web de Saint-Luc : « Ces centres sont composés des spécialistes de différentes disciplines, experts dans l’établissement du diagnostic et dans le choix et l’application des traitements. Le dossier de chaque patient est discuté de manière individuelle et spécifique lors de réunions multidisciplinaires, ce qui garantit un diagnostic précis incluant les derniers progrès technologiques, une prise en charge optimale et un traitement personnalisé basé sur l’expérience du groupe multidisciplinaire et les avancées les plus récentes de la médecine. »

↓ Vidéo de présentation de l’Institut des maladies rares des CUSL

Expertise pédiatrique à l’Hôpital des Enfants

L’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola ne possède pas la fameuse « fonction maladies rares », mais n’a plus à démontrer son expertise en matière de diagnostic ou de suivi des maladies rares pédiatriques. Au sein d’une interview disponible sur le blog de l’hôpital, le Pr Deconinck, neurologue pédiatrique, s’est exprimé sur le fonctionnement du service : « Une fois diagnostiqués, les enfants atteints de maladies rares viennent au minimum deux fois par an à l’Hôpital des Enfants, en fonction de la lourdeur de la pathologie. Une consultation multidisciplinaire est organisée à l’hôpital, lors de laquelle le patient et ses parents rencontrent en même temps médecins, infirmières, psychologues et membres de l’équipe Globul’Home. Outre le côté pratique de n’avoir qu’un seul rendez-vous, cela permet aux différentes équipes qui suivent l’enfant de se coordonner au niveau des soins et des traitements. Une maladie rare touche parfois plusieurs aspects médicaux et un traitement peut influencer une autre pathologie. Travailler en équipe multidisciplinaire, en collaboration avec les parents et l’enfant, permet d’éviter l’impact d’une décision sur un autre domaine de vie. Cette coordination est essentielle. »

Associations actives dans la lutte contre les maladies rares

Deux associations en Belgique sont actives dans la lutte contre les maladies rares, elles regroupent et soutiennent des associations dédiées à des maladies rares plus spécifiques.

RaDiOrg, premièrement, est l’association coupole belge pour les personnes atteintes d’une maladie rare. Sa récente campagne de sensibilisation lancée à l’occasion de la Journée mondiale des maladies rares (#NotaUnicorn) a résonné dans de nombreux médias, y compris sur Hospichild, et a permis de sortir provisoirement de l’ombre les personnes qui en sont atteintes. Mais ce n’était qu’une action parmi d’autres. En effet, chaque année, l’association s’emploie à mettre en avant le sujet autant auprès du grand public (ex : concours donnant un coup de projecteur sur des initiatives importantes), qu’auprès des autorités politiques (ex : mémorandum avec sept propositions pour une politique plus efficace).

Rare Disorders Belgium (RDB), deuxièmement, aide les particuliers à mieux comprendre leur maladie rare ou celle de leur enfant, à les orienter au mieux, à briser leur isolement, à défendre leurs droits d’un point du vue juridique, social ou dans le cadre des assurances… Leurs besoins et droits sont défendus par RDB en vue de « tenter d’influencer tant à l’échelon local, régional, fédéral, européen qu’international, des décisions publiques sur les problèmes éthiques, scientifiques et sociaux liés aux maladies rares ».

Recherche : « Même si on arrive à trouver une solution pour les soigner, l’industrie ne suivra pas »

L’aide à la recherche sur les maladies rares est essentielle pour permettre aux chercheurs d’avancer sur les traitements. Mais il y a un hic majeur. Comme a confié à Hospichild la coordinatrice de Belgian Kids Funds : « Les cas de maladies rares sont beaucoup plus présents chez les enfants et souvent, ce ne sont que quelques-uns qui sont touchés. Même si on arrive à trouver la solution pour les soigner, l’industrie ne suivra pas dans le développement du médicament, car le marché sera trop restreint. Le financement doit donc venir du côté académique, mais là aussi les universités ne reçoivent pas beaucoup d’argent de l’État et n’ont donc pas la possibilité d’investir eux-mêmes dans la recherche. Il faut alors avoir recours au FNRS ou à BKF; mais il y a tellement de demandes que ça ne peut absolument pas couvrir toutes les recherches. Ce qui implique que d’excellents projets sont recalés. »

Mais ce n’est pas pour autant que les chercheurs baissent les bras. Récemment d’ailleurs, sept centres experts de l’Hôpital Erasme ont rejoint les réseaux de référence européens (ou « ERN ») dans le but de partager des informations et expertises au profit de millions d’Européens souffrant de maladies rares.

Dernier exemple d’association d’aide à la recherche : L’ABMM – Aide à la Recherche ; issue de l’Association Belge contre les Maladies neuromusculaires. Leur objectif est : « soutien financier et la promotion de projets de recherche médicale ou scientifique concernant les maladies d’origine génétique en général et les maladies neuromusculaires en particulier. » 

Répertoires et registre des maladies rares

Il existe un répertoire international de référence sur les maladies rares et les médicaments orphelins dont une partie est consacré aux ressources belges. Son nom : OrphanetSon but : contribuer à améliorer le diagnostic, la prise en charge et le traitement des maladies rares.

Un autre répertoire, le Registre Central des Maladies Rares, reprend quelques données de base sur tous les patients belges atteints d’une maladie rare. Mis sur pied par Sciensano et financé par l’INAMI, il a pour but de rassembler des données épidémiologiques, de recruter plus facilement des patients dans le cadre de recherche et d’essais cliniques et d’identifier des mesures nécessaires en termes de soins de santé.

Enfin, concernant plus spécifiquement les aspects physiopathologiques et anesthésiques de syndromes et maladies rares de l’enfant, la plateforme belge « Syndromes & Maladies rares en pédiatrie : anesthésie » est également incontournable.

↓Vidéo de présentation d’Orphanet

 

 

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L’extra-scolaire des enfants gravement malades est passé à la trappe durant la crise

Depuis le début de la crise autour du Covid, de nombreuses associations actives dans l’extra-scolaire ont été contraintes de ralentir considérablement leurs activités. Lorsque des enfants gravement malades sont concernés, ce constat est encore plus vrai du fait des plus grands risques sanitaires encourus. L’asbl Exploits Sportifs (AEXS), qui offre du répit à ces enfants, a notamment été touchée de plein fouet et tente, tant bien que mal, de récolter des fonds. 

Extra-scolaire enfants malades
© Exploits Sportifs

 

« L’année écoulée fut très difficile, parce que beaucoup de nos événements de récolte de fonds ont dû être annulés. L’AEXS a donc reçu moins de dons ou d’aides que les années précédentes. À part quelques activités et un stage de voile organisés pour les enfants, l’offre de répit fut nettement amoindrie. Pour préserver leur santé surtout, mais aussi pour des questions de trésorerie. », a déploré Samia Krim, chargée de communication de l’asbl. 

Des activités quasiment de répit à l’arrêt

En temps normal, l’association Exploits Sportifs, qui existe depuis 1999, permet aux enfants (de 8 à 12 ans) avec des maladies chroniques ou neurologiques (ou aux enfants défavorisés depuis peu) de participer à des activités sportives et des camps de vacances. « On essaie de leur offrir des sourires et des moments de bonheur grâce à des sorties sportives ou récréatives et à des séjours d’une semaine pour faire de la voile ou autre (ce qui apporte beaucoup plus sur le plan du savoir-vivre et de la pédagogie). Quoi qu’il en soit, les enfants sont toujours encadrés par des animateurs et du personnel médical adapté. Ce sont à la fois des moments de répit pour eux, mais également pour les parents. » Durant cette période compliquée qui ne cesse de se rallonger, très peu d’activités ont lieu ; ce qui est réellement problématique pour les familles.

Courir pour la bonne cause

Malgré cette baisse de régime, l’AEXS a toujours besoin de dons. Mais comme les actions de récolte de fonds habituelles ont également été annulées, c’est difficile pour l’association d’en récolter assez. Heureusement, d’autres initiatives de soutien ont vu le jour comme, par exemple, des challenges sportifs. En cours en ce moment (et jusqu’au 30 avril), un challenge organisé par les étudiants de Louvain La Neuve (UESM) consiste à atteindre, à distance, un total de 4000 heures d’activités physiques. Une fois cet objectif atteint, tous les dons récoltés via la cagnotte Leetchi ou les sponsors seront reversés à l’AEXS.

Aides logistiques de la commune

En outre, la commune d’Auderghem, au sein de laquelle les locaux (communaux) de l’association sont basés, lui fournit, depuis des années, une aide logistique et financière. C’est-à-dire que lors des événements, la commune fournit gratuitement le matériel et met des lieux à disposition. Une petite prime leur est également accordée chaque année. D’ailleurs, l’échevine des Sports d’Auderghem, qui a participé au challenge sportif de l’UESM, accorde une importance toute particulière à aider ce genre d’association : « Si je peux les soutenir d’une manière ou d’une autre, ne fut-ce qu’en relayant leurs action sur nos canaux de communication, je le fais avec plaisir. Je leur viens également en aide logistiquement. Par exemple, l’association a prévu d’organiser un tournoi de football et la commune leur mettra gratuitement à disposition le terrain, mais aussi des tonnelles, des tables… Pour sa brocante annuelle également, on leur fournit tout ce dont ils ont besoin. » 

Pour soutenir Exploits Sportifs

Comme évoqué plus haut, l’association a besoin de soutien. Voici donc quelques moyens simple de les aider :

En faisant un don
– En participant aux challenge sportif  
– En participant à leurs événements
– En les suivant sur les réseaux sociaux 

 

Sofia Douieb

 

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Même à distance, les Docteurs Zinzins n’ont jamais cessé leurs visites extra-ordinaires auprès des enfants hospitalisés

Rire, en ce moment, est devenu plus essentiel que jamais. Et d’autant plus pour les enfants hospitalisés qui ne peuvent plus recevoir autant de visites, ni interagir aussi librement qu’avant avec leur environnement aseptisé. Dans ce contexte, les Docteurs Zinzins, des clowns hospitaliers, n’ont rien voulu lâcher malgré l’interdiction de se rendre sur place. Ils ont rapidement apprivoisé l’outil numérique et en ont même tiré certains avantages. Tout cela pour continuer, coûte que coûte, à offrir une bulle d’oxygène et de rire aux enfants malades. Hospichild a eu l’honneur d’interviewer deux de ces clowns hors du commun : Thierry Boivin, dit Biscuit, et Sophie Bonhote, dite Aglagla. 

Crédit photo : Docteurs Zinzins

 

Depuis le mois de mars 2020, les métiers du spectacle sont à l’arrêt. Si certains ont trouvé des parades numériques pour continuer à pratiquer leur métier, c’est loin d’être une généralité. Pour les Docteurs Zinzins, ces clowns qui se relaient au chevet des enfants hospitalisés depuis 1992 à l’Hôpital des Enfants, la parade virtuelle a plus ou moins fonctionné. Mais, comme l’ont confié Biscuit et Aglagla à Hospichild, « il a fallu s’adapter et trouver de nouvelles façons de se donner en spectacle. Si certains avantages ont pu surprendre agréablement, le contact humain reste primordial et ne devra jamais être remplacé par une relation par écrans interposés. »

Maintenir coûte que coûte le contact avec les enfants

Ce qui était primordial également pour les Docteurs Zinzins, c’était de garder coûte que coûte le contact avec les petits patients hospitalisés. Il fallait absolument continuer à les faire rire. Si au début de la crise, seuls les appels vidéos étaient possibles, il leur est désormais accordé de voir certains enfants dans le jardin de l’hôpital. Mais, contrairement à Saint-Luc ou Erasme au sein desquels ‘Les Clowns à l’hôpital’ ont désormais le droit d’être présents dans les chambres, la plupart des rencontres avec les enfants hospitalisés à l’Huderf restent encore virtuelles pour le moment. « C’était très compliqué au début de s’organiser pour maintenir le contact », a souligné Sophie Bonhote. « Mais grâce aux éducateurs qui font le lien sur place et qui entrent dans la chambre de l’enfant avec la tablette, on a pu petit à petit mettre en place une routine qui fonctionne. »

L’implication indispensable du personnel soignant

L’implication des éducateurs ou des autres membres du personnel soignant est effectivement indispensable dans ce genre de situation, parce que l’enfant peut parfois se sentir mal à l’aise devant l’écran et avoir besoin d’être rassuré par une personne qu’il connaît. « Ce qui est magnifique, c’est que la plupart du temps, les éducateurs décident de rester avec l’enfant pendant l’appel. Ils s’impliquent et jouent avec nous pour rendre le moment encore plus réussi. On s’est rendu compte que, finalement, les professionnels aussi avaient besoin de décompresser et de rire. D’ailleurs, pour les remercier on a plusieurs fois organisé des sessions zoom rien que pour eux et, plus récemment, on s’est même donné rendez-vous à l’extérieur pour danser sur l’air de Jerusalema. C’était vraiment très gai. » 

« Il a fallu apprivoiser l’outil numérique »

Gérer et maîtriser les sessions Zoom et les contacts virtuels avec les enfants fut l’un des challenges les plus importants pour les Docteurs Zinzins. Et pour expliquer la façon dont l’outil numérique a été à la fois un frein et une aubaine pour eux, rien de tel que de laisser la parole, en vidéo, à nos deux interlocuteurs.

Rencontrer pour la première fois un enfant quand on est à distance

Une autre difficulté évoquée fut le moment délicat de la première rencontre virtuelle avec l’enfant hospitalisé. Thierry et Sophie ont par exemple expliqué : « Il y a eu ce contact un peu chaotique avec une adolescente qui ne nous trouvait pas drôles et qui semblait peu réceptive à notre démarche. On a néanmoins continué en jouant dans son sens, en lui donnant raison ; on a fait un peu de musique aussi. Finalement, on a eu un retour de la psychologue qui nous a dit à quel point elle avait apprécié notre rencontre et qu’elle avait fondu en larmes à la fin de l’appel tant c’était difficile de nous quitter. »  

Les deux clowns ont ensuite évoqué la manière dont ils ont interagi avec un petit garçon italien hospitalisé en oncologie qui les voyait également pour la première fois : « On a commencé très loin de l’écran et on jouait au ballon. Ensuite, on s’est rapproché doucement en l’impliquant petit à petit afin de lui laisser le temps d’entrer dans notre jeu. À un moment, la balle est tombée et on lui a demandé en italien si il savait où elle était partie… Ça l’a fait rire et là on a su que c’était gagné et qu’on pouvait continuer comme d’habitude. » 

Quid de la suite ?

Depuis quelques semaines, les clowns de l’association ont à nouveau la possibilité de se rendre à l’hôpital et de rencontrer des enfants en présentiel, mais seulement en extérieur. La dernière visite en date était assez inhabituelle puisque Biscuit et Aglagla ont eu la possibilité d’interagir, pour la deuxième ou troisième fois, avec des enfants autistes de l’ Unité A.P.P.I à l’Huderf. Âgés de 1 à 3 ans, ils étaient assez fascinés par la musique et plutôt réceptifs ; ce qui a agréablement surpris les éducateurs.

Évidemment, d’autres enfants hospitalisés peuvent également bénéficier de cette bulle d’oxygène au grand air s’ils le souhaitent ou s’ils en ont l’autorisation. Et si ce n’est pas le cas, les sessions Zoom continuent, et continueront, à prendre le relais. « L’expérience du virtuel est utile et souvent bénéfique pour les enfants, mais il ne faudrait quand même pas que ça remplace nos visites en présentiel sous prétexte que cela fonctionne bien. On a besoin et on a envie d’être physiquement présents pour les enfants », a finalement conclut Thierry Boivin.

 

Sofia Douieb

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De l’importance de « Prendre soin… des soignants » (compte-rendu de conférence)

Dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé « prendre soin », les équipes de La Cité Miroir et de la Maison des Sciences de l’Homme de l’Université de Liège ont consacré leur dernière conférence en ligne aux soignants et à la façon dont leur bien-être et leurs conditions de travail ont pu être « soignés » durant ces derniers mois. 

Pour Hospichild, la thématique du vécu des soignants a toujours été essentielle et a même fait l’objet d’un colloque il y a quelques années de cela. À présent, le sujet est heureusement de plus en plus souvent abordé. C’est d’ailleurs le cas dans cette conférence passionnante organisée au début du mois et dont les intervenants étaient Nathalie Zaccaï-Reyners, chercheure qualifiée du Fonds de la Recherche Scientifique et professeure de « socio-anthropologie du quotidien » à l’ULB et Alexandre Ghuysen, urgentiste au CHU de Liège. En voici, pour vous, le compte-rendu.

« Être poussé dans ses retranchements a parfois du bon »

Le vécu des soignants a été lourdement mis à l’épreuve durant la pandémie. Alexandre Ghuysen, urgentiste au CHU de Liège, a souhaité mettre en lumière les aspects positifs de cette pression extrême ; sans pour autant nier les difficultés. Selon lui, être poussé dans ses retranchements a parfois du bon.« La crise du Covid est une expérience hors norme que personne n’a vécue auparavant. Sur le terrain, c’est un excellent révélateur de ce qu’il faut améliorer et adapter bien sûr, mais aussi de ce qui fonctionne bien. Des modalités doivent être trouvées en urgence et le travail d’équipe est primordial dans ce genre de situation. »

« Le relationnel du soin n’a pas pu être suffisamment mis en place »

De son côté, la chercheuse Nathalie Zaccaï-Reyners a confirmé et détaillé ces propos en trois points : « C’est en effet au moment des crises que les évidences qu’on ne voyait plus en temps normal ressurgissent. Ce que ça a mis en valeur premièrement, c’est que le soin médical en hôpital ne dépend pas que des soignants, mais bien de toute une structure plus large et complexe (pouvoirs publics pour les décisions, structures internationales pour le matériel…) D’un point de vue du ressenti des soignants, deuxièmement, il est ressorti que le relationnel du soin n’avait pas suffisamment pu être mis en place et que la technique a pris trop de place durant la crise. Et troisièmement, il y a ce point positif déjà évoqué qui est la dynamique positive du travail collectif et la solidarité intense entre les professionnels du soin. »

Ces métiers d’aide et de soin qui sont sortis de l’ombre

Toujours selon le docteur Zaccaï-Reyners, la notion du soin s’est élargie, dans la perception générale, à toutes les tâches qui soutiennent le maintien de notre monde et la reproduction de nos vies. Ce ne sont donc plus uniquement les soignants engagés dans les secteurs officiels du soin qui doivent être considérés, mais bien toutes celles et ceux qui effectuent un travail d’aide et de soin au sens très large (sans pour autant être valorisés). Par exemple, on s’est rendu compte que les éboueurs prenaient des risques, que les chauffeurs routiers étaient indispensables à notre approvisionnement, que les livreurs et les caissières de supermarchés étaient des héroïnes, etc.

Malgré les risques, l’engagement professionnel n’a pas failli

À l’hôpital, début mars, la responsabilité de tous les chefs de services qui ont dû choisir les équipes à envoyer au front était extrêmement compliquée à assumer. « On savait que certains tomberaient malades, parfois gravement, que certains allaient mourir, mais aucun membre du personnel soignant n’a refusé de remonter ses manches car les soignants se sentaient investis d’une mission importante, a expliqué Alexandre Ghuysen. Bien sûr, dans ce contexte, on était heureux d’être applaudis et soutenus par la population. Mais il y avait également un arrière goût amer à cela puisqu’on s’est rendu compte que, depuis le temps que notre métier n’est pas reconnu, les gens ont eu besoin d’une crise mondiale pour enfin comprendre notre importance. De plus, beaucoup de personnes ont confondu le message et le messager et nous ont reproché les mesures strictes. » 

De l’importance d’un soutien permanent des soignants

L’urgentiste a continué en évoquant le fait que le soutien permanent entre les soignants fut primordial pour préserver la santé mentale des équipes. « Lors des débriefings, nous nous réunissions pour évoquer les difficultés de chacun, ce qui manquait, ce que l’un ou l’autre avait besoin pour se sentir mieux… Grâce à ces moments quotidiens, des solutions pouvaient rapidement être proposées et appliquées dans la foulée. Parfois, ce furent des choses infimes comme par exemple cette infirmière qui demandait simplement à pouvoir écouter de la musique. » 

Quid de l’après pour ces héros de la crise ?

« J’ai beaucoup de crainte de ce qui va advenir pour ces héros qui se sont sacrifiés lors de cette crise », a avancé Nathalie Zaccaï-Reyners. Elle a peur que les gens préfèrent oublier et laisser cela derrière eux sans plus donner d’importance à ces « anciens combattants ». Alexandre Ghuysen, qui partage cette crainte, s’est empressé de confirmer : « Le syndrome de l’ancien combattant est effectivement à craindre. On nous dira qu’il faut tourner la page et qu’il ne faut plus en parler. On se retrouvera isolés entre nous pour s’en libérer un peu. Il y a aussi la culpabilité du syndrome du survivant qui pourra être ressentie par ceux qui sont passés entre les mailles du filet. Ensuite, les gens se souviendront peut-être négativement de la dictature sanitaire qui a été imposée et elle sera peut-être mise sur le dos des soignants qui auraient empêché la population de vivre normalement pendant 1 an et demi… Et la dernière question qu’on peut se poser pour la suite : « Est-ce qu’il y aura quelque chose de constructif qui va émerger pour faire en sorte que les dysfonctionnements de la crise ne se reproduisent pas ? » 

Sofia Douieb

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Focus sur les émotions des professionnels de l’enfance en temps de Covid-19

La File, Fédération des initiatives locales pour l’enfance, a récemment mis en ligne une série de trois conférences destinées aux professionnels de l’accueil de l’enfance, dont la première aborde la question des émotions des professionnels durant cette crise sanitaire. 

Partant des réponses aux questions posées à ces professionnels — « Qu’est-ce qui est difficile à gérer pour les professionnels de l’enfance ? Peur, colère, culpabilité… Quelle est la place laissée aux émotions ? Quelles sont les pistes qui peuvent aider pendant cette période ? … » —, Monique Meyfroet, psychologue clinicienne et formatrice, explique l’importance de mettre des mots sur les émotions, de les identifier, les comprendre, les partager mais aussi sur la place des rituels, de la continuité du travail en équipe… Hospichild vous propose ici un compte-rendu écrit et succinct de ce qui s’est dit en substance au sein de cette conférence de 45 minutes. 

La peur, émotion omniprésente

Des témoignages de professionnels de l’enfance en temps de pandémie indiquent que beaucoup de stress est ressenti à cause de la peur d’être contaminé et de contaminer ensuite. La question de la mort est sous-jacente et un sentiment de culpabilité apparaît constamment. La peur est épaisse et presque palpable tant elle est intense. Pourtant, la peur en général n’est pas toujours négative vu qu’elle permet d’éviter les dangers. Mais dans ce cas-ci, le danger est invisible, ce qui change clairement la donne. Quoi qu’il en soit, ressentir de la peur est normal et n’est pas un signe de faiblesse, surtout en ce moment. Ce qui est important, c’est de pouvoir vivre avec cette émotion et faire en sorte qu’elle ne nous submerge pas. 

De l’importance de laisser s’exprimer ses émotions

On dit parfois qu’il faudrait inhiber ses émotions quand on est professionnel, mais c’est faux. Surtout en présence d’enfants qui sont de véritables éponges émotionnelles. Il faut au contraire leur parler, leur expliquer ce qu’on ressent afin de leur permettre de ressentir à leur tour. Les enfants se sentiront alors plus légitimes d’être tristes, angoissés, énervés… s’ils sont compris et rassurés.

Gestion des émotions en équipe professionnelle

La dynamique d’équipe est précieuse dans les moments de tension comme on en vit beaucoup actuellement. Quand un membre de l’équipe est malade ou écarté, la charge de travail pèse sur les collègues et rend la situation compliquée pour tous. Pourtant, peu de réunions d’équipe sont organisées, soit par manque de temps, soit pour raisons sanitaires, alors que c’est justement en ce moment que le personnel a envie de s’exprimer, de relâcher la pression, d’expliquer clairement ce qui ne va pas. Le virus nous délie les uns des autres et on finit par penser que tous les liens deviennent toxiques et dangereux. Or, il est très important de continuer à vivre et à honorer tous ces rituels qui sacralisent par exemple un passage à la retraite ou le départ d’un enfant…

« On garde la technique, mais on perd le sens »

À cause des contacts déliés avec les enfants et avec les autres membres du personnel, le professionnel se retrouve à pratiquer son métier techniquement correctement, mais avec la dimension humaine en moins. Quelque part, on garde la technique, mais on perd le sens profond de ces métiers de contacts auprès des enfants. Même concernant la distance imposée entre collègues, le fait de ne plus pouvoir manger ensemble, de plus pouvoir échanger ou décharger ses tensions… tout cela nuit gravement à la construction quotidienne du métier. Il faut trouver des moyens simples de pouvoir continuer à communiquer par l’intermédiaire de tableaux, par des petits mots, par visioconférence aussi… afin de garder, encore une fois, du sens dans ce qu’on fait.

La solution du médiateur pour décharger les tensions

Il faudrait absolument que les équipes soient suivies, ou du moins qu’elles aient la possibilité de faire appel à un médiateur pour se décharger de ce qui ne va pas au travail. Quelqu’un d’extérieur à l’équipe tel qu’un psychologue devrait systématiquement être joignable afin d’entendre et de conseiller le professionnel. Ce maillon extérieur doit être à l’écoute des besoins et essayer de trouver, en concertation avec le soignant ou l’accompagnant, des petites choses concrètes et quotidiennes capables d’améliorer la situation. En résumé, le professionnel doit pouvoir bénéficier lui-même de soins psychologiques pour pouvoir accompagner les autres au mieux.

 

Visionner la vidéo sur la page Youtube de La File 

 

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